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Patrick Modiano


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1999-2018

 

Au Temps
Dictionnaire Patrick Modiano

Bernard Obadia

Dernières entrées dans le Dictionnaire

 

B  D  E  F  G  H  I  J  K  L  M  N  O  P  Q  R  S  T  U  V  W  X  Y  Z 

B  D  E  F  G  H  I  J  K  L  M  N  O  P  Q  R  S  T  U  V  W  X  Y  Z

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Rafistoler / Bricoler
"D'un livre à l'autre, je rafistole des choses entre elles, je bricole. C'est une sorte de patchwork, mais j'oublie des éléments en cours de route, et j'essaie ensuite de les rattraper. Je reprends des choses trop superficielles, pour les approfondir, comme si quelque chose avait germé. C'est bizarre, mais il y a une sorte de logique interne... Pendant le premier mois, on ne sait pas où on va, c'est pénible. Quand c'est fini, ça ne correspond plus du tout à ce qu'on imaginait. C'est pareil depuis trente ans. Au début, on s'embarque, on cafouille, on va à l'aveuglette. Puis ça se met en place, mais jusqu'à la fin, on bifurque, on croit que c'est fichu, mais il suffit de revenir en arrière pour s'apercevoir où on s'est fourvoyé. Parfois c'est décourageant. Godard disait, je crois, qu'il avait coupé au hasard dans la pellicule de son premier film. C'est vrai. Il suffit quelquefois de taillader, pas vraiment au hasard, il y a toujours des intermèdes qu'on peut couper. Le texte est souvent comme une masse molle qui vous paralyse, mais vous taillez dans le vif, vous enlevez les doublons, les répétitions. Et vous repartez. Ecrire, c'est comme un lent travail d'accommodation, comme un regard qui divergerait et qu'on redresserait peu à peu. Je ne trouve jamais le bon angle d'emblée. A l'origine, Moreau-Bardaev, par exemple, c'était deux personnages mais je me suis rendu compte qu'un seul suffisait. Alors je lui ai donné les deux noms. Au départ, on louche, on voit tout en double. Puis la mise en place, l'accommodation, se fait."

 

La Rafle du Vèl' d'Hiv

Rafle du Vèl' d'Hiv (la)
Les 16 et 17 juillet 1942, au vélodrome d'Hiver de Paris, sont rassemblés dans des conditions intolérables plus de 8 000 juifs dont plus de 4 000 enfants. Cette rafle organisée par la police française est l'un des événements les plus marquants de la persécution antisémite commise par les autorités françaises.
Du décret signé par le maréchal Pétain le 4 octobre 1940, autorisant l'internement dans des camps spéciaux des « ressortissants étrangers de race juive », jusqu'à la circulaire du 13 juillet 1942, véritable « plan de guerre » du préfet de police de Paris qui détaille minutieusement la vaste opération d'arrestations et de rassemblement des juifs étrangers de la capitale, les événements vont s'enchaîner dans une mise en scène qui aboutit à la tragédie des 16 et 17 juillet 1942. Ces journées sont le théâtre d'une sinistre opération militaire menée par des milliers de policiers et de gendarmes. Durant ces deux jours, dans la capitale, près de huit mille juifs étrangers, hommes, femmes et enfants sont envoyés au Vél d'Hiv. Dans ce lieu, jusque-là temple du sport, des milliers d'êtres humains tentent de survivre pendant plusieurs jours dans les pires conditions qui soient : pas de couchage, aucun ravitaillement, absence d'eau, hygiène inexistante... Les juifs se retrouvent pris au piège : une poignée réussira à faire évader des enfants, beaucoup se laisseront mourir et le plus grand nombre sera déporté vers le camp d'extermination d'Auschwitz. Il faut savoir que cette opération fut considérée comme un demi car le plan prévoyait l'arrestation de 22 à 24 000 juifs étrangers, hommes, femmes et enfants, même si ces derniers étaient de nationalité française.


Paris, le 13 Juillet 1942 - Circulaire n° 173-42

À Messieurs les Commissaires Divisionnaires, Commissaires de Voie Publique et des Circonscriptions de Banlieue.

[...] Les Autorités Occupantes ont décidé l'arrestation et le rassemblement d'un certain nombre de juifs étrangers. La mesure dont il s'agit ne concerne que les juifs des nationalités suivantes :
Allemands, Autrichiens, Polonais, Tchécoslovaques, Russes (réfugiés ou soviétiques, c'est-à-dire « blancs » ou « rouges »), Apatrides, c'est-à-dire de nationalité indéterminée.
Elle concerne tous les juifs des nationalités ci-dessus, quel que soit leur sexe, pourvu qu'ils soient âgés de 16 à 60 ans (les femmes de 16 à 55 ans). Les enfants de moins de 16 ans seront emmenés en même temps que les parents [souligné par nous].Vous constituerez des équipes d'arrestation. Chaque équipe sera composée d'un gardien en tenue et d'un gardien en civil ou d'un inspecteur des Renseignements généraux ou de la Police Judiciaire.

[...] Les équipes chargées des arrestations devront procéder avec le plus de rapidité possible, sans paroles inutiles et sans commentaires. En outre, au moment de l'arrestation, le bien-fondé ou le mal-fondé de celle-ci n'a pas à être discuté. C'est vous qui serez responsables des arrestations et examinerez les cas litigieux qui devront vous être signalés [souligné par nous].

[...] Des autobus, dont le nombre est indiqué plus loin, seront mis à votre disposition. Lorsque vous aurez un contingent suffisant pour remplir un autobus, vous dirigerez :
- sur le Camp de Drancy : les individus ou familles n'ayant pas d'enfants de moins de 16 ans ;
- sur le Vélodrome d'Hiver : les autres.
Vous dirigerez alors les autobus restants sur le Vélodrome d'Hiver.

[...] Enfin, vous conserverez, pour être exécutées ultérieurement, les fiches des personnes momentanément absentes lors de la première tentative d'arrestation.

Pour que ma Direction soit informée de la marche des opérations, vous tiendrez au fur et à mesure, à votre Bureau, une comptabilité conforme au classement ci-dessus. Des appels généraux vous seront fréquemment adressés pour la communication de ces renseignements. Parmi les personnes arrêtées, vous distinguerez le nombre de celles qui sont conduites à Drancy de celles qui sont conduites au Vélodrome d'Hiver.
Pour faciliter le contrôle, vous ferez porter au verso de la fiche, par un de vos secrétaires, la mention « Drancy » ou « Vélodrome d'Hiver » selon le cas.
Les services détachant les effectifs ci-dessous indiqués devront prévoir l'encadrement normal, les chiffres donnés n'indiquant que le nombre des gardiens. Les gradés n'interviendront pas dans les arrestations, mais seront employés selon vos instructions au contrôle et à la surveillance nécessaires.
Total des équipes : 1472 ; total des gardiens en civil ou en tenue : 1568. En outre : 220 Inspecteurs des Renseignements Généraux et 250 Inspecteurs de la Police Judiciaire.
Garde des Centres primaires de rassemblements et accompagnements des autobus. Total des gardes et gardiens : 430.

Circonscriptions de banlieue
[... ]Totaux : 60 gendarmes, 20 gardiens en tenue et 53 gardiens en civil.
La Compagnie du Métropolitain, réseau de surface, enverra directement les 16 et 17 juillet à 5 heures aux Centraux d'Arrondissements où ils resteront à votre disposition jusqu'à fin de service : 44 autobus.
En outre, à la Préfecture de Police (caserne de la Cité) : 6 autobus.
[...] La Direction des Services Techniques tiendra à la disposition de l'État-Major de ma Direction, au garage, à partir du 16 juillet à 8 heures : 10 grands cars.
[...] De plus, de 6 heures à 18 heures, les 16 et 17 juillet, un motocycliste sera mis à la disposition de chacun des IXe, Xe, XIe, XVIIIe, XIXe et XXe arrondissements.
La garde du Vélodrome d'Hiver sera assurée, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur, par la Gendarmerie de la région parisienne et sous sa responsabilité.

Tableau récapitulatif des fiches d'arrestations : Paris : 25 334 ; banlieue : 2 057 ; total : 27 391.

Le Directeur de la Police municipale, Hennequin.

D'après Richard Basnier, professeur d'histoire et de géographie


Bibliographie sur la Rafle du Vel d'Hiv
RAJSFUS Maurice, La Rafle du Vél d'Hiv, PUF, 2002.
RAYSKI Adam, Il y a soixante ans. La rafle du Vélodrome d'Hiver. Le
peuple de Paris solidaire des juifs, Mairie de Paris, 2002. Document
disponible en PDF (attention : 2 MO).
www.resistancejuive-france.net/
LÉVY Claude, La Grande Rafle du Vèl' d'Hiv, 16 juillet 1942, Laffont, 2002.
GUENO Jean-Pierre (sous la dir. de), Paroles d'étoiles : mémoires d'enfants cachés (1939-1945), Librio, 2002.
GUENO Jean-Pierre (sous la dir. de), Paroles d'étoiles : l'album des enfants cachés (1939-1945), Éd. des Arènes, 2002.
MARRUS Michael R., PAXTON Robert O., Vichy et les Juifs, Calmann-Lévy, 1981.
KASPI André, Les Juifs pendant l'Occupation, Seuil, coll. « Points Histoire », 1997.
KLARSFELD Serge, Le Mémorial de la déportation des juifs de France, édité et publié par Beate et Serge Klarsfeld, 1979 (à consulter en bibliothèque).
LABORIE Pierre, « 1942 et le Sort des Juifs. Quel tournant dans l'opinion ? », Annales, EHESS, 1993 (3).
NATANSON Dominique, J'enseigne avec l'internet la Shoah et les crimes nazis, CRDP de Bretagne, 2002
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Raison
<< Il y a des explications multiples, sociologiques, économiques, psychanalytiques, religieuses qui, séparément ou croisées, ne suffisent jamais à déduire le fait de l'extermination. La raison bute. Il arrive même qu'elle se fasse une raison de son incapacité à comprendre : elle affirme alors que le génocide est aberration pure, anomalie historique, instant de démence unique dans le déroulement explicable du temps. Ce qui a entre autres avantages celui de débarrasser les bourreaux et leurs complices du poids de leur responsabilité. Entre les deux écueils, la rationalisation et l'irrationalisation, la voie est étroite.>>
Pierre Lepape, le Monde, 4 avril 1997.

Jean-Paul Rappeneau : "Le rire nous a réunis ", témoignage
Scénariste de « Lacombe Lucien », avec Louis Malle, Modiano a aussi été celui de « Bon Voyage ».
« La première fois que j'ai rencontré Patrick Modiano, c'était en 1962, dans une maison de campagne, dans l'Oise. Il y avait là un grand jeune homme silencieux qui venait de passer son bac. Je ne connaissais pas son nom, et nous n'avons pas échangé trois mots. Et puis, bien longtemps après, quand est paru La Place de l'étoile, j'ai compris que ce nouvel écrivain dont tout le monde parlait était le jeune homme inconnu de l'été 1962. Au long des années, nous nous sommes croisés quelquefois. J'admirais ses livres, je les ai tous lus. J'ai été tenté d'en adapter certains pour le cinéma. Je lui ai même proposé de travailler avec moi sur des scénarios mais, pour des raisons diverses, cela n'a jamais pu se faire. Et puis un jour, je l'ai revu plus longuement lors d'un dîner. Je lui ai raconté le projet que j'avais alors en tête, un film qui se passerait à Bordeaux, un certain week-end de juin 1940 où, dans la panique de l'exode, le gouvernement et le Tout-Paris s'étaient retrouvés entassés dans le même hôtel. Alors là, il s'est enflammé. Il en savait plus que moi sur la période, sur les amours des hommes politiques et des actrices, etc. Il est un fichier vivant de ces années-là. Il m'a dit : « Si vous voulez, cette fois... » Nous nous sommes revus dès le lendemain, et on a avancé ensemble. Cela a donné Bon Voyage ( le film, sorti en avril 2003, a obtenu le plus grand nombre de nominations aux césars 2004, onze nominations dont celles du « meilleur film » et du « meilleur scénario », NDLR ). Notre collaboration s'est déroulée le plus simplement possible, ça passait beaucoup par de longues conversations.
Mais surtout, et ce fut une surprise pour moi, j'ai découvert un homme très éloigné de l'image du personnage austère que l'on imagine : le rire nous a réunis. Et à chaque fois que l'on se revoit, nous repartons dans des fous rires.
J'aime aussi sa réserve, ses silences, et sa capacité d'être à l'écoute. Et ce que j'admire dans ses romans, c'est cette manière unique d'être d'une extraordinaire précision dans les détails (les noms des rues, les appartements, les numéros de téléphone...) et en même temps de tout envelopper dans une sorte de brume. Un message à lui faire passer ? Sortons de nos retraites respectives, traversons le jardin du Luxembourg et voyons-nous plus souvent. » le Figaro, 27 septembre 2007

Rapport heureux à l'écriture* ?
Mais faut-il déduire de cette méthode que vous n'avez pas un rapport heureux à l'écriture ?
P.M. Non. Ce qui aggrave mon cas, c'est cette rêverie préalable à tout commencement d'écriture et dont j'ai besoin avant de passer à l'acte. Je suis comme ces gens qui sont au bord d'une piscine et attendent des heures avant de plonger : écrire, pour moi, est quelque chose de désagréable, donc je suis obligé de rêver beaucoup avant de m'y mettre, de trouver des façons de rendre agréable ce travail assez long et difficile, de trouver un dopant. J'ai d'ailleurs compris, maintenant, la raison de l'alcoolisme de beaucoup de grands écrivains : je crois qu'il s'agit de cette perpétuelle baisse de tension et l'alcool fonc-tionne comme le grand dopant, même quand on a fini d'écrire.
Et vous, quel est votre dopant ? L'alcool ?
P.M. Non, pas du tout. Je marche beaucoup. Je rêvasse. Je me mets dans une sorte d'état second à partir de morceaux de réalité, souvent du passé, parfois des noms propres. Cette perpétuelle hésitation transparaît peut-être dans mes livres... Je ne me rends pas compte. " "Mon Paris n'est pas un Paris de nostalgie mais un Paris rêvé" entretien avec François Busnel (Lire), 04/03/2010

Récits et témoignages de survivants.
Ce site bien structuré expose des témoignages très touchants pour la plupart de escapés de camps de concentration. Consultez en particulier le témoignage Vaillant Couturier issu du procès de Nuremberg en Janvier 1946.

Réalité
" Obscurément, je sais que pour donner le meilleur de moi-même je dois me rapprocher davantage de la réalité. C'est comme quand on essaie de capter un rayon de soleil. Le point d'incandescence, c'est quand je parle vraiment d'une réalité. Chaque fois que dans cette espèce de bouillon fictionnel j'ai glissé des éléments de réalité, les gens ne pouvaient pas s'en apercevoir, mais c'est là que ça fonctionnait le mieux.
(...) Chaque fois que je suis face à la réalité, j'ai l'impression que ça peut prendre plus d'ampleur... (...) La réalité, pour moi, est surtout un motif de prendre des objets très banals, comme le faisaient les surréalistes, de prendre un téléphone, par exemple, et de lui trouver des côtés magnétiques, de les sur-réaliser."
Entretien avec Laurence Liban, Lire, octobre 2003 à l'occasion de la publication de Accident nocturne, roman, 2003

 

Réalité fragmentaire 
(...) la réalité est toujours fragmentaire. Quelquefois, on rencontre quelqu'un et puis on le perd de vue. On a oublié certaines choses, volontairement ou non. On ment sur soi-même. Tout cela forme une masse de fragments. Sauf peut-être dans un rapport de police. Et même là, il peut y avoir des erreurs.
Entretien avec Laurence Liban, Lire, octobre 2003 à l'occasion de la publication de Accident nocturne, roman, 2003

Registre (noms* et)
"Au fond, Bowing cherchait à sauver de l’oubli les papillons qui tournent quelques instants autour d’une lampe. Il rêvait d’un immense registre où auraient été consignés les noms des clients de tous les cafés de Paris depuis cent ans, avec mention de leur arrivée ou de leur départ successifs. Il était hanté par ce qu’il appelait ‘les points fixes". Dans le café de la jeunesse perdue, 2007, p; 19.

réel / Imaginaire*
<< - Cette reconnaissance par les historiens du caractère précurseur de vos livres pourrait cependant avoir quelque chose de paradoxal : vous avez fréquemment affirmé, revendiqué la dimension imaginaire des périodes que vous reconstituiez dans vos récits, qu'il s'agisse des années 1940 ou de l'époque de la guerre d'Algérie...
Je pense que ce qui est onirique peut parfois plus se rapprocher de la réalité. L'imaginaire peut dire quelque chose du réel. Aussi parce qu'on peut arriver, par l'écriture, à une sorte d'intuition de ce que pouvait être le réel. Malgré toute l'horreur, cette époque de l'Occupation avait d'ailleurs quelque chose d'irréel.
Entretien avec Maryline Heck, Magazine Littéraire, n° 490, octobre 2009


Réfracté 

" Ma démarche n'est pas d'écrire pour essayer de me connaître moi-même ni de faire de l'introspection. C'est plutôt, avec de pauvres éléments de hasard: les parents que j'ai eus, ma naissance après la guerre..., trouver un peu de magnétisme à ces éléments qui sont sans intérêt en eux-mêmes, les réfracter à travers une sorte d'imaginaire. L'entreprise autobiographique m'a toujours paru une sorte de leurre, sauf si elle a une dimension poétique comme Nabokov l'a fait dans Autres rivages. Le ton autobiographique a quelque chose d'artificiel car il implique toujours une mise en scène. Pour moi, c'est plutôt une entreprise artistique, une mise en forme d'éléments dérisoires." 
Entretien avec Laurence Liban, Lire, octobre 2003 à l'occasion de la publication de Accident nocturne, roman, 2003

Réminiscences
Une coupure de journal, une photo, un objet quelconque font ressurgir chez le narrateur les événements qui y sont liés. Un défilé de souvenirs passe alors en vrac. Plusieurs sujets se croisent, le lecteur finit par ne plus se rappeler à partir de quel souvenir la narration a commencé. 

Remords et vide*
<< Peu importe les circonstances et le décor. Ce sentiment de vide et de remords vous submerge, un jour. Puis, comme une marée il se retire et disparaît. Mais il finit par revenir en force et elle ne pouvait pas s’en débarrasser. Moi non plus. >> Voyage de noces, p.157

Repartir sur quelque chose / déblayer*
"A chaque fois que je finissais un livre, j'avais l'impression que je pourrais repartir sur quelque chose de nouveau. J'ai d'ailleurs la même impression avec ce nouveau livre, L'horizon. L'impression d'avoir déblayé. D'avoir suffisamment déblayé pour pouvoir repartir. Mais tout cela n'est qu'une fuite en avant... Après chaque livre, j'ai donc cette impression d'avoir suffisamment déblayé ce qui est devant moi - ou derrière moi - pour pouvoir enfin aborder quelque chose de nouveau. Mais cette impression est illusoire. C'est donc une sensation assez désagréable. C'est comme si vous vouliez dégager quelque chose pour pouvoir enfin traiter une autre chose, comme si vous vouliez vous débarrasser de certaines choses de votre passé, de votre vie, pour pouvoir enfin partir d'un nouveau pied et avoir le champ libre, mais, finalement, cela ne marche jamais comme ça. Ce sentiment est une illusion." "Mon Paris n'est pas un Paris de nostalgie mais un Paris rêvé" entretien avec François Busnel (Lire), 04/03/2010

Répétitons
<< - A force de revenir sans cesse sur les mêmes motifs, avez-vous parfois eu peur que votre imaginaire soit tari ?
PM- Ce n'est qu'a posteriori qu'on s'aperçoit qu'on reprend toujours des thèmes, des images sur lesquels on a déjà écrit. Cela se fait de façon inconsciente, mais il arrive un moment où, à force que ça se répète et que ça se recoupe, on craint que ça ne marche plus. Faulkner disait qu'écrire c'est épuiser un rêve. On peut éviter cet épuisement. Pour ce nouveau roman,[Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier] dont j'avais déjà utilisé les éléments de l'intrigue dans Remise de peine, je savais, instinctivement, qu'il me fallait trouver un nouveau point de vue. Alors il n'y a plus de « je », il s'agit d'un récit à la troisième personne. Et les événements sont envisagés à partir du présent, du début du xxie siècle, soit un demi-siècle après qu'ils se sont produits. On peut penser que j'écrirai toujours sur les mêmes thèmes, toujours ces « trucs » venus de mon enfance, mais selon des points de vue qui évoluent.>>
Télérama. Entretien avec Nathalie Crom, 01/10/2014

Rêver à partir des personnages *
<< - Il n’y a aucune rupture de ton entre ce livre [Un Pedigree] et les précédents, à l’exception d’un humour discret mais plutôt noir, comme si vous vous sentiez plus libre à l’égard des personnes réelles que fictives.
- Je ne peux pas trop employer dans la fiction cet "humour discret et plutôt noir", parce que, à trop forte dose, cela orienterait la fiction vers la satire, et j’ai besoin que les personnages de fiction me fassent rêver.
>>

Rêver ma vie
"Cet automne 1959, ma mère joue une pièce au théâtre Fontaine. Les samedis soir de sortie, je fais quelquefois mes devoirs dans le bureau du directeur de ce théâtre. Et je me promène aux alentours. Je découvre le quartier Pigalle, moins villageois que Saint-Germain-des-Prés, et un peu plus trouble que les Champs-Elysées. C’est là, rue Fontaine, place Blanche, rue Frochot que pour la première fois je frôle les mystères de Paris et que je commence sans bien m’en rendre compte, à rêver ma vie » Un Pédigrée, 2005, p. 61.

 

Rêveries et Cinéma*
Est-ce qu’un titre de film suffit à déclencher une rêverie ?
Oui, des films avec des titres bizarres, comme je reviendrai à Kandara ou Clara de Montargis, des films qu’il valait mieux ne pas voir... il valait mieux les imaginer. J’avais fait des listes de titres comme ça, je les avais répertoriés, des listes de films absurdes que je n’ai jamais vus, seuls les titres étaient mystérieux... Souvent, le titre était plus mystérieux que le film lui-même, qui était sûrement assez banal. C’était aussi lié à la magie des affiches... et à la féerie des salles de quartier. On avait l’impression que le boulevard Ornano était directement relié aux prairies, parce que les cinémas passaient un western qui s’appelait La Fille de la prairie. Dans ces cinémas, il y avait aussi des odeurs bizarres... On voyait des westerns dans des cinémas qui avaient une odeur urbaine très forte, un peu l’odeur qu’on sentait en passant sur les grilles des métros... D’ailleurs, dans certains cinémas, on entendait passer le métro en dessous... Il me reste des visages de ces années-là, d’il y a trente ans... je cherche à retrouver un type qui m’avait emmené pour la première fois à la Cinémathèque et dans ces endroits-là. Mais après trente ans, on ne se reconnaît même plus... De toute façon, j’étais assez solitaire, peut-être à cause de la littérature, je ne faisais pas partie d’une bande de cinéphiles.
Entretien avec Frédéric Bonnaud, Les Inrockuptibles, 1997.

 

REMISE DE PEINE (1987)

 


Remise de peine [1987]
Quatrième de couverture
<< Une maison d'un étage, à la façade de lierre, dans un village des environs de Paris ou le narrateur, que l'on appelait plus facilement« Patoche»à l'époque, a grandi avec son petit frère car leur mère était partie jouer une pièce en tournée.
Une maison ou ne vivaient que des femmes, une époque ou tant de questions se bousculaient: qu'est-ce qu'une tête brûlée ? Et une « série noire» ? Eliot Salter, marquis de Caussade, reviendrait-il dans son château comme l'avait promis le père des enfants lors d'un déjeuner?
Tant d'étonnements aussi: «Pourquoi les policiers ne nous ont pas interrogés?» se demande encore Patoche, qui ajoute: «Pourtant les enfants regardent. Ils écoutent aussi.»
Sans doute ne reste-t-il rien de tout ça que l'étui à cigarettes d'Annie, le sourire de Jean D., la grosse voiture de Roger Vincent dans le souvenir du narrateur qui n'a pu oublier. Ni la maison, ni ces femmes, ni leurs invités. Patoche regarde, écoute, il sait parfaitement que quelque chose de grave leur est arrivé.>>

Remise de peine, premières pages

 

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Ressources pédagogiques sur la seconde guerre mondiale.

Résistance et Collaboration Bibliographie


Le Centre de Documentation Juive Contemporaine

Mémoire juive et éducation de Dominique Natanson

 

Repère
" Dans repère, bien sûr, il y a la sonorité redoublée, ou redoutée, du père. Et, depuis ses débuts, Modiano tourne à sa façon autour de cet insaisissable point fixe, de cette « Place de l'Etoile » dont les avenues filiales l'éloignent ou le rapprochent. Ses héros ont eu un père, comme tout le monde, mais celui-ci s'est dérobé, il a été absorbé par une grande quantité de passé, il a disparu dans le brouillard des rues et des activités louches. Le but du jeu, du roman, consiste alors, chaque fois, à retrouver sa trace - puisque les traces, par leur phosphorescence, suggèrent mieux que les choses elles-mêmes. Patrick Modiano est devenu un romancier géographe, presque géomètre, parce que son père mercurien, à l'origine, lui glissait entre les doigts. Le freudisme a recensé toutes les variantes de ce programme. Mais Modiano se fiche pas mal du freudisme. C'est un artiste. Il jouit de sa névrose comme un derviche de son vertige. Quel intérêt y aurait-il, pour lui, à en guérir ?"
Jean-Paul Enthoven, Accident Nocturne, Le Point, 3-10-2003.

Répétitions 1
<< - Une chose pourrait faire penser à Perec, dans vos livres, c'est la récurrence de certains motifs, certains chiffres notamment. Chez Perec, certains chiffres reviennent ainsi de façon obsessionnelle, ils ont une dimension autobiographique forte, comme la date de la mort de sa mère. Or on trouve chez vous certaines répétitions étonnantes. Le numéro de téléphone 15-28, par exemple, revient dans trois livres au moins : Dans le café de la jeunesse perdue, Rue des Boutiques Obscures et Quartier perdu... De telles répétitions sont-elles concertées ?
PM - J'ai souvent besoin de m'appuyer sur des détails réels, qui ont pour moi quelque chose de magnétique. Il faut que ce soit réel mais à la fois disparu. Ces numéros de téléphone par exemple n'existent plus. Ce 15-28 était un numéro de téléphone réel, comme sont réels la plupart des gens dont je cite le nom dans mon dernier livre, Dans le café de la jeunesse perdue. Ce sont des gens que j'ai rencontrés. Ces chiffres, ces noms, ces adresses qui reviennent sans cesse renvoient à des personnes que j'ai connues. Il m'arrive d'ailleurs de ne pas m'apercevoir moi-même de leur retour, c'est troublant. J'ai pu ainsi appeler par le même nom des personnages de différents romans, sans m'en rendre compte... C'est un peu un problème, ce n'est pas très logique. Ces répétitions sont souvent très inconscientes. Le 15-28, c'est le numéro d'amis que j'avais. Mais ces éléments récurrents ne sont pas forcément autobiographiques. Ils sont réels, mais ne renvoient pas toujours à quelque chose de personnel. Parfois aussi je glisse des noms de gens dans l'espoir enfantin qu'ils vont se manifester, des gens dont je voudrais savoir ce qu'ils sont devenus. Comme une manière de lancer un appel.
Entretien avec Maryline Heck, Magazine Littéraire, n° 490, octobre 2009

Répétitions 2
« Oui, chez moi, » conclut Modiano dans une interview, « ce sont toujours les mêmes personnages ou les mêmes thèmes qui resurgissent, mais par à-coups, avec des reprises, et pas d’un seul mouvement et en un seul gros volume. ». Conclusion à un entretien, source inconnue

 

Restif de la Bretonne
Il évoque le "spectateur nocturne" dans le roman "Accident nocturne", paru en 2003.
- «le spectateur nocturne». Qui était-ce?
– C’était Restif de La Bretonne. Dans «les Nuits de Paris», il raconte ses dérives de quartier en quartier. Je n’aime pas beaucoup le côté moralisateur du livre, cette manière de toujours vouloir secourir aucoin de la rue les jeunes filles en perdition, mais l’ambiance est extraordinaire.
Jérôme Garcin, Rencontre avec P Modiano, Le Nouvel Observateur, 2 octobre 2003



pas responsable de ma vie
"J'envie les écrivains qui sont en symbiose avec eux-mêmes, qui ont la chance d'avoir de la sympathie pour eux-mêmes. Ce c'est pas mon cas, malheureusement. Sans doute parce que j'ai le sentiment trouble que je ne suis pas responsable de ma vie, comme un chien n'est pas responsable de son pedigree. Elle m'a été imposée, voilà tout, j'y suis en partie étranger. D'où le ton du livre. J'aurais tellement aimé raconter une enfance heureuse avec des parents harmonieux..." "Paris, ma ville intérieure" entre tien avec Jérôme Garçin., Le Nouvel Observateur, le 26/09/2007

Rêve / Rêverie

Rêve (J'épuise un)
A un journaliste qui demandait à Faulkner pourquoi il reprenait toujours les mêmes histoires de folie et de violence, l'auteur de Sanctuaire, répondit, après un silence : "J'épuise un rêve".

 

Rêve (échange de)
Catherine Deneuve : "Le cauchemar que je fais tout le temps, c’est que je joue au théâtre, que je ne sais pas le texte qu’on n’a pas répété et que je dis « Je ne peux pas monter sur scène! On n’a pas travaillé! "
PM - Moi, je rêve que la date de la première arrive... Les journées avancent et je n’arrive pas à apprendre le rôle...
(entretien avec Catherine Deneuve, Les Inrockuptibles  Festival de Cannes 1997)

 

Rêverie / Réel 
" (...)avant d'écrire, il y a une sorte de rêverie, mais la rêverie ne peut s'appliquer qu'à des choses très précises: des lieux ou des personnes. J'ai besoin de choses très réelles pour pouvoir exprimer le côté somnambulique de cette époque."
Lire, octobre 2003 à l'occasion de la publication de Accident nocturne, roman, 2003

Rêverie
«Je ne crois pas que mes romans soient figés* dans une époque — les années 60 ou 40. C'est une rêverie* tout à fait subjective sur les années 60 ou 40… »,
Gérard de Cortanze citant PM, "La Biographie de Patrick Modiano", revue Bon-à-tirer, n°81, 1er avril 2008.

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Revoir des films
<< Mais souvent, j’ai peur de revoir certains films qui m’ont marqué, parce que je sais que ce ne sont pas forcément de bons films.  Comme "Une Aussi longue absence" d’Henri Colpi, si je le revoyais, j’ai un peu peur que... ça doit pas être... Ce film m’avait frappé parce que c’était une histoire d’amnésie.>>  

Révolution culturelle en Chine, 1965"Les Cahiers de Malte Laurids Brigge, de Rainer Maria Rilke" Préface de Patrick ModianoArmand ROBIN
La figure de ce poète sert le personnage de Moreau-Bardaev dans la Petite Bijou.  << je l'ai croisé une fois dans une rue, j'étais avec quelqu'un qu'il connaissait. Après j'ai lu ses poèmes et j'ai appris qu'il était mort dans des conditions bizarres. Dans les années 50, la radio avait un énorme impact.>>

 

Romans policiers (écrire des) / mais que se passait-il au juste ?
"(...), j'ai toujours eu l'envie, la nostalgie de pouvoir écrire des romans policiers. Ou des des séries, comme faisait Georges Simenon, qui donnait un nouveau roman tous les mois. Au fond, les thèmes principaux des romans policiers sont proches de ceux qui m'obsèdent : la disparition, les problèmes d'identité, l'amnésie, le retour vers un passé enigmatique. Le fait, aussi, de proposer souvent différents témoignages contradictoires sur une personne, ou un événement me rapproche du genre. Mon goût pour ce type d'intrigues s'explique aussi par des raisons intimes. Rétrospecctivement, il me semble que des épisodes de mon enfnaces ont ressemblé à un roman policier. A certains moments, j'ai été entouré de personnes et d'événements très enigmatiques. Les enfants ne se posent pas tellement de questions sur le moment, tout leur semble naturel. Mais c'est un peu plus tard, lorsque le temps a commencé à s'écouler, qu'on se retourne vers le passé en se demandant : mais que se passait-il au juste ?" (...) Le roman policier induit une sorte de réalisme, voire de naturalisme, et une structure narrative assez rigide et efficace. Il n'y a pas de place dans sa facture, pour le côté fluide de la rêverie, il faut être un peu terre à terre, ou didactique, afin que les pièces du puzzles s'emboîtent. A la fin du roman poilicier, il y a un explication, une résolution. Cela ne convient pas quand on veut comme moi, décrire un passé morcelé, incertain, onirique. D'ailleurs, je n'écris pas des romans au sens classique du terme, plutôt des choses un peu bancales*, des sortes de rêveries, qui relèvent de l'imaginaire.
Télérama. Entretien avec Nathalie Crom, 1/10/2014

 

 

La Ronde de nuit (1969)

 

Ronde de nuit (la)  [1969] Collection blanche, Gallimard et Collection Folio (No 835) (1976)
Résumé de l'éditeur. << Comment devenir traître, comment ne pas l'être ? C'est la question que se pose le héros du récit qui travaille en même temps pour la Gestapo française et pour un réseau de résistance. Cette quête angoissée le conduit au martyre, seule échappatoire possible.
Par ce livre étonnant, tendre et cruel, Modiano tente d'exorciser le passé qu'il n'a pas vécu. Il réveille les morts et les entraîne au son d'une musique haletante, dans la plus fantastique
ronde de nuit.
>>

 

La Ronde de nuit, propos de 1973.
<<Pour La ronde de nuit, c’est le XVIè : un quartier qui peut paraître aujourd’hui très bourgeois, mais que je vois tout autrement. En effet, il y a plein de maisons 1930 un peu bizarres, d’hôtels particuliers qui ont l’air abandonné. Lorsqu’on sait que sous L’Occupation, les officiers de la Gestapo et toute une faune interlope y avaient élu leurs repères (J’ai eu l’occasion de visiter un immeuble rue de la Pompe où il s’était passé des horreurs. La salle de bain était restée telle qu’elle, c’était hallucinant ), alors cela devient très mystérieux. La nuit, lorsque les rues sont désertes, on s’aperçoit que les lieux gardent l’imprégnation de ce qui s’y est déroulé.>> Propos recueillis par Jean-Louis Rambures, dans un entretien paru dans Le Monde le 24 mai 1973.

La ronde de nuit
<< La ronde de nuit (1969) appartient, avec La place de l’étoile(1967) et Les boulevards de ceintures (1972), à ce que l’on pourrait nommer la trilogie de l’Occupation, et contient tous les prémisses et toutes les obsessions de l’œuvre à venir. En transcrivant la déambulation erratique d’un « agent double » dans le Paris forclos de la guerre, ce second roman pose les bases même de sa création romanesque. Dans ces trois premiers romans, la Seconde Guerre mondiale, et ce qu’elle engendra d’obscures affaires et de trafics louches, est la scène de prédilection du romancier, qui l’inscrit au cœur de son oeuvre. Passé dont il se sent héréditairement porteur, il va tenter par la littérature d’assumer une mémoire empoisonnée et de se reconstruire une mythologie des origines. Si dans la suite de son œuvre le narrateur arpente le Paris des années soixante, soixante-dix, quatre-vingt, son itinéraire dévoile souvent les contours d’une autre carte : celle d’une identité perdue, vestige d’une période trouble autour de laquelle toute l’œuvre s’articule, l’Occupation. (...) La ronde de nuit est, au sens musical du terme, une ouverture : il introduit les thèmes, les éléments narratifs et les obsessions qui deviennent le ferment même de son œuvre romanesque. Ce second roman n’est pas encore à proprement parler une quête, mais plus une reconstitution hallucinée de Paris pendant la Seconde Guerre mondiale. On entre avec le narrateur dans les deux camps, celui des résistants d’un côté, et des collaborateurs de l’autre, que l’on découvre à travers ses yeux d’agent double. Déjà le récit est constitué d’itinéraires très précis et porteurs d’un sens encore en constitution.>> Carine Duvillé Errance et Mémoire : Paris et sa topographie chez Patrick Modiano Mémoirede maitrise, juillet 2000. Paris IV, Sorbone.


La Rotonde, Portes d'Orléans
<<Parfois mon père m'accompagnait le lundi matin à la Rotonde, porte d'Orléans. C'était là où m'attendait le car qui me ramenait au collège. Nous nous levions vers 6 heures, et mon père en profitait pour donner des rendez-vous dans les cafés de la porte d'Orléans avant que je prenne le car. Cafés éclairés au néon les matins d'hiver où il fait encore nuit noire. Sifflements des percolateurs. Les gens qu'il rencontrait là lui parlaient à voix basse. Des forains, des hommes au teint rubicond de voyageurs de commerce, ou à l'allure chafouine de clercs de notaires provinciaux. A quoi lui servaient-ils exactement ? Ils avaient des noms du terroir : Quintard, Chevreau, Picard.>>  Ephéméride, 2002, Mercure de France, ed.                     

 

RUE DES BOUTIQUES OBSCURES (1978)

 

Rue des boutiques obscures [1978] Collection blanche, Gallimard  ; Hors série Beaux Livres, Gallimard (1978) ; Collection Folio (No 1358) (1982)
Résumé de l'éditeur
Qui pousse un certain Guy Roland, employé d'une agence de police privée que dirige un baron balte, à partir à la recherche d'un inconnu, disparu depuis longtemps ? Le besoin de se retrouver lui-même après des années d'amnésie ?
Au cours de sa recherche, il recueille des bribes de la vie de cet homme qui était peut-être lui et à qui, de toute façon, il finit par s'identifier. Comme dans un dernier tour de manège, passent les témoins de la jeunesse de ce Pedro Mc Evoy, les seuls qui pourraient le reconnaître : Hélène Coudreuse, Fredy Howard de Luz, Gay Orlow, Dédé Wildmer, Scouffi, Rubirosa, Sonachitzé, d'autres encore, aux noms et aux passeports compliqués, qui font que ce livre pourrait être l'intrusion des âmes errantes dans le roman policier.

Rue des boutiques obscures : Résumé, histoire, sujet
Après des années d'amnésie, Guy Roland, employé d'une agence de police privée que dirige un baron balte part, peut-être par besoin de se retrouver lui-même, à la recherche d'un inconnu, Pedro McEvoy, disparu depuis la guerre. Il recueille des bribes de la vie de cet homme qui était peut-être lui, auquel, de toute façon, il finit par s'identifier. Mais l'enquête, de plus en plus compliquée, découvrant toute une société cosmopolite vivant en France au moment du déclenchement de la guerre, aboutit plusieurs fois à des impasses, le livre se terminant sur une dernière mince possibilité d'élucidation du mystère.
Des noms affluent, des épisodes qui s’empilent, un mille-feuilles de l’évocation ; Guetter, observer, reconnaître, doute sur l’identité ; scruter des photos et chercher à se reconnaître.
Dans ce livre, les chapitres intermédiaires. sont nombreux avec fiche signalétique, coordonnées qui recueillent le tissu de relations : géographiques, affectives, familiales, amoureuses. Il y a des apatrides dont la principale obsession est « d’avoir une nationalité » Avec les noms, les personnes évoquées, les personnages croisés Guy Roland commence à se forger une identité. De rencontre en rencontre, il change d’identité possible. Est-il Pedro ? Celui-là ou un autre ?
Il y a toujours la boîte de biscuits, les photos, les noms, les visages, des souvenirs, des listes, des numéros de téléphone. Beaucoup de bars, de lieux collectifs où la solitude s’énonce.
L’enquête autour de Pedro commence à s’affiner : retrouver l’adresse, la nationalité, les lieux de vie. : « Les lettres dansent, qui suis-je ? »
Au fur et à mesure, Guy Roland-Pedro découvre des éléments de son passé mais jamais n’est affirmée, verbalisée son infirmité : l’amnésie. Un agenda atteste, le mariage avec Denise Coudreuse… Et au milieu de toutes ces conjectures, l’inquiétude s'accroît alors que la vérité semble se préciser. Mais quoi ? Qui ? Quelle vérité ?
Dans ce livre Patrick Modiano pousse loin l’économie textuelle : avec un nom et une adresse, il fait un chapitre. Somme toute, chaque personnage est réduit à un nom associé à un nom de lieu.
Rencontre avec le photographe JM Mansoure : le réseau téléphonique d’autrefois dans l’intervalle des sonneries, la peur, les rencontres clandestines, la sexualité inavouable, à l’époque. Modiano risque même un chapitre entier sur les photos d’un personnage disparu mais les souvenirs encore sont ils réels ou inventés ?
Guy Roland revient à l’agence Hutte où les souvenirs affluent mais étayés par le parcours accompli. Il y aurait eu un Pedro caché dans un hôtel : la fuite , la peur, l’exil, la clandestinité. Et surtout cette lettre de Hutte qui le nomme « Guy »
« Vous aviez raison de me dire que dans la vie, ce n’est pas l’avenir qui compte, c’est le passé. »
Alors deux identités Pedro Stern ou Pedro Mc Evoy Aurait-il eu plusieurs noms ? Qui j’étais, quel nom d’emprunt ? Il va jusqu’à Valparaiso… Pour la deuxième fois, il est reconnu. Jamais, il n’avoue qu’il a perdu la mémoire. Pourtant… Souvenirs plus précis ou reconstruction ? Dis moi, Pedro… Quel était ton vrai nom ? » Vérité et mensonge.
Une étape à Vichy : souvenirs réels ou inventés. De nouveau, la peur, la fuite, la culpabilité. Il va aussi chercher des traces au collège de Luiza, se demande comment était le père. Un père un inconnu, encore. Une couche encore dans l’inconnu : des comtes cachés ou des roturiers falsificateurs ? Dans les quarante dernières pages, un afflux d’images, de souvenirs plus précis, il semble recouvrer la mémoire. Ou s’invente-t-il un passé ? Une nouvelle scène de la fuite, mais fuir quelle menace ? Une scène de contrôle dans un train et survient un imaginaire romanesque celui qui s’est forgé avec le Cinéma.
Pédro passe une frontière, est abandonné dans la montagne. Et puis ces retours sur les lieux de l’abandon, de la perte, de la fuite. Mais aller-retour immédiat.
Aucun souvenir vrai, réel : « vréel »

Rue des boutiques obscures, premières pages

 

Les boutiques obscures : Modiano et Perec par Roland Brasseur et Denise Cima, 29 mai 1999 Un article publié sur le site de l'Association Perec.

Le Roman
Milan Kundera dans "L'Art du Roman" dresse ce tableau du Roman qui réfléchit sur lui-même (il = le roman)
" avec (...) Cervantès, il se demande ce qu'est l'aventure; avec Samuel Richardson, il commence à examiner 'ce qui se passe à l'intérieur', à dévoiler la vie secrète des sentiments; avec Balzac, il découvre l'enracinement de l'homme dans l'Histoire; avec Flaubert, il explore la terra jusqu'alors incognita du quotidien ; avec Tolstoï, il se penche sur l'intervention de l'irrationnel dans les décisions et le comportement humain. Il sonde le temps : l'insaisissable moment passé avec Marcel Proust; l'insaisissable moment présent avec James Joyce. Il interroge, avec Thomas Mann, le rôle des mythes qui, venus du fond des temps, téléguident nos pas.." 

 

Rudy
Le frère mort d'une maladie du sang à 10 ans, en 1957. PM lui adressera ses romans de 1967 à 1982 comme s'il poursuivait à travers l'espace romanesque une conversation interrompue... Rudy modiano est enterré au Père Lachaise, dans le carré juif à quelques mètres de la tombe de Modigliani.
« Le choc de sa mort a été déterminant. Ma recherche perpétuelle de quelque chose de perdu, la quête d’un passé brouillé qu’on ne peut élucider, l’enfance brusquement cassée, tout cela participe d’une même névrose qui est devenue mon état d’esprit ». Cité par Pierre Assouline dans Modiano, lieux de mémoire, Le Magazine littéraire.
« Dans les rêves, les gens qu’on a perdus nous apparaissent derrière un voile. En relisant les épreuves de Remise de
peine, j’ai eu ce sentiment. Il y avait un blanc. Nabokov a expliqué que quand on mettait un personnage de la vie réelle dans la fiction, il se confondait avec le tissu romanesque et c’était une trahison. Mais je n’ai pas eu ce sentiment avec Rudy. Parce que je ne lui ai pas donné d’existence individuelle. Pas de prénom. C’était toujours "mon frère et moi" Je ne l’ai pas trahi... ».

 


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