Jack
et les apparitions, par Éric
Loret
Jean-Pierre Ostende se lance à plein régime
dans une course au fantastique dominée par de flagrants
délices paranoïaques.
<< Son téléphone s’appelle Eric et son
magnéto
Philippe, en référence à des marques bien
connues. Lui-même se nomme Bergman. Il est le héros
d’un roman-jeu avec château matois et fenêtres
allumées jusqu’à plus nuit. Jacques Bergman
est également employé de l’Explorateur Club,
une expérience littéraire menée depuis plusieurs
années par Jean-Pierre Ostende pour explorer le monde de
l’entreprise et qu’il donne régulièrement
en lecture publique, par fragments. Ici, il s’agit d’auditer
la tradition pour tenter d’en faire un centre de loisirs.
Que notre monde politiquement faisandé révèle
ses dangers en marchant sur la tête, qu’il se tende à lui-même
des pièges et s’effondre dans son vide clinquant.
Délire. Expert en chausse-trapes et langues de belle-mère,
Ostende s’amuse du genre fantastique, déterminé comme
on le sait par l’impossibilité faite au lecteur de
savoir si ce qu’on lui représente est un délire
du narrateur ou une réalité «objective» : «Je
sentais que dehors l’herbe bougeait, qu’elle était
animée, qu’une chose transparente dans le parc au
matin courait sur l’herbe et le miroir d’eau. Comme
le faisait la grande chaleur parfois sur le bitume ou dans le désert.
Un léger trouble, un flou. Une espèce de chose qui
occupait l’esprit et n’en sortait plus et surtout
ne savait plus en sortir.»
Tout est dans tout, comme chez les grands paranoïaques (Shining
est cité mille fois), et l’embrouillamini gagne rapidement
le lecteur qui laisse échapper la proie pour l’ombre. Ça
tombe assez bien puisque c’est plutôt le sujet.
Outre le complot, la Présence est aussi assujettie à la
liste, au paradigme où tout se vaut, où tout fait
sens, mais, hélas, le même : «Plusieurs fois
par nuit je me réveillais en sursaut. Les chevaux étaient
nerveux mais je n’avais pas de chevaux. La mère des
abeilles était devenue géante ? Je n’avais
pas de ruche. J’écoutais la radio et il m’arrivait
d’entendre : "Alors, Jack, et ces apparitions ?"[…]Je
pensais que c’était seulement pour les autres, les
mystiques, les télépathes, les illuminés,
les films d’horreur, les leaders politiques charismatiques,
les prédicateurs du Speaker’s Corner, les contes
pour enfants.»
Terreur.La logique n’est pas ailleurs que dans la fiction
fictionnante à toute berzingue et sur fond de mouches mortes,
récurrentes, obsessionnelles. Les situations naissent de
la valse des signifiants : ainsi apprend-on que, si le «terrific
garden» du château, de goût anglais comme on
imagine, n’a pas pu être réalisé, c’est à cause
de la… Terreur, son commanditaire ayant été guillotiné en
1794.
De même, nombre de digressions paraissent se tisser autour
de phrases semées dans ce jardin des lettres, comme si Ostende,
amateur de crèches et autres installations, avait engrené par
exemple le sibyllin («Une grand-mère punk a largement
utilisé les cosaques et les spectres») et attendu
que le pourtour pousse. Dans la dernière phrase, fatigué sans
doute des dizaines de personnages issus de son cerveau-monde, le
narrateur projette d’écrire enfin un «guide
pour voyager sans rencontrer personne».
© Libération, jeudi
6 décembre 2007
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Un
château en Cocagne par Astrid
de Larminat
<< Le dernier livre de Jean-Pierre Ostende raconte l’histoire
d’un employé d’une agence d’organisation
de divertissements, en mission dans un château. Le récit
de ses mésaventures compose un objet littéraire
insolite.
L’écrivain Jean-Pierre Ostende est comme ces grands
chefs cuisiniers qui recourent à la chimie pour révéler
de nouvelles saveurs, et, plutôt que flatter le palais, préfèrent
le déconcerter. Son dernier livre, La Présence (annoncé comme
le premier étage d’une sorte de pièce montée
romanesque), invite le lecteur à partager une expérience
littéraire qui se révèle passionnante à condition
qu’on aime être dérouté. À ceux
qui ne jurent que par le boeuf bourguignon, elle est en revanche
franchement déconseillée.
Prenez un château du XVIIIe, mobilier d’époque
somptueux, parc de 60 hectares où s’ébattent
lapins et écureuils, le tout entretenu comme si les propriétaires
y vivaient encore : un charme fou. Placez dans ce lieu clos où tout
n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme et éternité,
un certain Jacques Bergman, employé de l’Explorateur
club (agence d’entertainment qui condense toutes les logiques
et techniques du monde de l’entreprise), chargé d’effectuer
une étude pour transformer le château en centre
de loisirs. Laissez reposer. Observez.
Un remake de « The Shining »
Au début, cela ressemble à un petit tour bucolique
et burlesque. Puis - l’auteur sème des indices discrets
comme des cailloux clignotants - cela tourne au remake du film
The Shining. Il faut dire que le narrateur a une tendance prononcée à la
paranoïa ou, plutôt, à l’animisme : il
appelle son magnétophone Philippe, et son téléphone Éric
; il croit que les animaux le narguent, que le château respire,
que l’orage est un serial killer, qu’une présence
l’épie la nuit derrière les carreaux. Pour
lui, tout est signe et fait sens. Lorsqu’il commence à lire
le journal de la défunte châtelaine, on bascule carrément
dans une autre dimension. Il converse avec des revenants, se prend
pour la comtesse, et s’imprègne si bien de la vie
de château qu’il entre dans une grande quiétude, à des
années-lumière de la société psychédélique
d’où il vient.
Voilà pour le corps du livre que l’auteur parsème
de digressions fantaisistes, comme s’il n’opposait
aucune résistance aux idées qui lui traversent la
tête à mesure qu’il écrit. Paroles de
chanson, slogans, répétitions (tout à coup
: neuf fois le mot « étude » en quinze lignes),
salves de questions sans réponse et d’allusions indéchiffrables
où le lecteur s’engage comme dans des escaliers qui
donneraient sur le vide, émaillent le texte. On s’étonne,
on s’amuse, on s’énerve, on se demande où il
veut en venir... mais on continue, épaté par ses
trouvailles et son audace...
Mais jusqu’où un romancier peut-il tordre les règles
du genre, mettre à mal la vraisemblance, négliger
le sens d’un texte pour ne s’attacher qu’à la
plastique des signes ? Ostende lui-même pose la question
par métaphore interposée. Le château tel qu’il
est, harmonieux et habitable, n’est-il pas une métaphore
du roman traditionnel où l’on finit par entrer comme
dans une réalité parallèle, s’identifiant
aux personnages ? Et le parc d’attractions que le narrateur
doit imaginer, une sorte de caricature du roman contemporain ?
Autre symbole du récit classique : le journal de la châtelaine
qui captive le narrateur au point de le plonger dans un état
proche de la sagesse. Dommage que l’histoire d’Ostende
ne nous « transporte » pas de la même manière,
corps et âme.
Au fond, sous couvert de fiction, Ostende installe le lecteur
dans son propre cerveau. Comme si on était à la Géode
de la Villette, la fameuse salle de cinéma hémisphérique,
on assiste à la projection de toutes ses pensées
transformées et imbriquées par l’art. La séance
vaut le détour même si le plaisir que cela procure
est surtout cérébral.>> par Astrid
de Larminat, 25-10-07, ©, le Figaro
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La
littérature en ses jardins, par Alain
Nicolas
<< Un écrivain isolé dans un château
transformé en parc à thème : une situation
de roman fantastique qui appelle un jeu sur les pouvoirs de la
littérature.
Comment
résister au charme de ce château et de son
parc ? Tous les visiteurs aimaient « cette odeur de cire,
ces fleurs dans les vases, ces magazines ouverts sur les tables
basses », cette sensation de passer dans une maison habitée
d’une présence vivante. Bergman, lui aussi, a cédé à la
fascination. Mais très vite, pour résumer sa situation,
les mots qui lui viennent sont : « Dans quel pétrin
tu es ? »
Délégué par l’Explorateur Club, il
doit étudier la faisabilité d’un projet de
transformation de la demeure aristocratique, devenue trop coûteuse
pour la Caisse des monuments historiques, en un parc d’attractions
rentable. Le voilà pour trois mois in situ, avec pour seul
compagnon humain l’étrange Petchnatz, mi-jardinier
mi-gardien. Étrange, en effet, ce factotum qui se fait parfois
appeler « Stephen Roi », qui a figuré aux côtés
du célèbre Boris K. dans un film tourné au
château, et interrompu pour de mystérieuses raisons.
Au-delà des allées tirées au cordeau du jardin à la
française, derrière les façades sereines du
bâtiment sagement classique, une réalité bien
moins sereine que les apparences pourrait bien s’insinuer.
D’ailleurs, les amateurs de Kubrick auront reconnu une situation
qui rappelle étonnamment le début de Shining. Étonnamment,
car on se demande, a priori, ce que le subtil Jean-Pierre Ostende
vient faire dans une fiction fantastique qui se réclame
aussi ouvertement de Stephen King.
C’est que la littérature « de genre » est
peut-être un fantastique terrain d’exercice pour un écrivain
qui sait que tout peut advenir dans le jeu des codes et des conventions.
Qu’on les respecte ou qu’on les transgresse, les lois
du polar, du fantastique ou autres sont le point d’appui
où peut naître un texte qui parle du monde, de l’homme
et de la littérature. Jean-Pierre Ostende est de ces écrivains
qui creusent tous les terrains, décapent toutes les couches
des possibles du roman, pour en mettre au jour toutes les dimensions.
mystères
EN série
La
Présence embarque le lecteur dans une série de
mystères qui se déclenchent en cascade, sur la base
de légers décalages apparemment dépourvus
de sens ou de conséquences. Ainsi, nous apprenons, sans
que le narrateur en soit autrement alarmé, que, dans le
pavillon où il est logé, deux endroits semblent attirer
les mouches qui viennent y mourir. Qu’à quelques kilomètres
du château se dresse une fort peu touristique centrale nucléaire.
Que des arbres abattus en nombre anormal longent les allées
du parc. À ces indices inquiétants s’ajoute
l’histoire du château, de ses constructeurs, de ses
habitants. Construit au milieu de jardins à la française à la
régulière et rassurante ordonnance, il a vu un de
ses occupants, à la veille de la Révolution, décider
de les remplacer par une composition à l’anglaise.
La courbe succède à la droite, l’accident remplace
la perspective sans surprise. Mieux, ou pire, le châtelain
décide de faire appel à un spécialiste des « terrific
gardens ». Ruines et grottes s’agrémentent de
tombes et de gibets, et c’est autant de passages vers d’autres
mondes, au moins mentaux, qui s’ouvrent. À coups de
pelouses et de buissons, d’arbres et de parterres, c’est
un autre texte qui s’écrit, le fantastique et l’épouvante
remplaçant le rationnel, le « gothique » surgissant
sous la fine couche de classicisme. Comme le roman, l’art
des jardins navigue entre genres, modes, époques, niveaux
de lecture. Et pour mieux dire qu’on ne se débarrasse
pas impunément des genres « mineurs », c’est
une tentative de retour à l’origine qui est peut-être
la source des événements inquiétants auxquels
s’affronte le narrateur.
étrange
boucle
Des « terrific gardens » de la fin du siècle
des Lumières au parc d’attractions post-moderne, une étrange
boucle est en train de se fermer, dont l’imaginaire du visiteur,
ou du lecteur, est l’enjeu. Le concepteur de l’Explorateur
Club, comme l’écrivain, est à la fois le jouet
et l’acteur de ces jeux insignifiants ou mortels.
Sur
ces thèmes, l’intelligence de Jean-Pierre Ostende
a su composer un thriller haletant qui explore les racines de la
peur dans la complexité de l’âme humaine, et
le travail de la littérature dans ce paysagisme des émotions,
jamais innocent, toujours plaisant. Plus qu’un tour de force,
un exemple à méditer. >> Alain
Nicolas © l'Humanité du 31-01-08
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La
traversée des apparence par Valère-Marie
Marchand
« La
nuit, vers la fin de l’été… » Ainsi
commence le dernier roman de Jean-Pierre Ostende, ainsi nous acheminons-nous
vers un ailleurs qui n’a même pas besoin d’être
authentifié tellement il semble aller de soi… Temps
suspendu d’un château du XVIIIe siècle, réputé pour
son fameux jardin à la française, ses mouches fossilisées
et ses ribambelles de phénomènes non identifiés.
Temps écoulé dans un pavillon de chasse, occupé,
en la circonstance, par Bergman, employé de l’Explorateur
Club, une société de prospection en centres de loisirs
100 % lucratifs. Temps de l’échappée belle
digne d’André Dhôtel en compagnie de personnages
connus pour leur seule faculté d’évasion. Avec
Jean-Pierre Ostende, on s’habitue vite à des détails
qui font toute la différence et l’on collecte avec
joie le moindre élément perturbateur. Bruits de pas
sur le gravier, bibliothèques et portes qui grincent, objets
plus animés que de coutume suffisent à semer le trouble
dans l’esprit du lecteur et du même coup à le
faire bifurquer de l’autre côté du miroir. D’une
extrapolation à l’autre, la fiction prend le pas sur
une réalité que l’on sait par avance révolue
et ses principaux acteurs se laissent gagner par une floraison
d’univers parallèles, des sous-ensembles narratifs
qui s’accroissent à vue d’oeil. Où nous
conduisent nos pas ? La mémoire des uns se nourrirait-elle
de l’amnésie des autres ? Telle est peut-être
la problématique de ce roman qui inverse à dessein
des rôles parfaitement rodés. L’arroseur, c’est
un fait avéré, est souvent arrosé et l’explorateur
ne tarde pas à être exploré par ces lieux qu’il
pensait avoir apprivoisés. De même l’imaginaire
ne capitule jamais devant l’incrédulité présumée
du lecteur. Dès lors, tout devient plausible et tout s’inscrit
dans une logique qui se substitue à la nôtre. On n’est
guère étonné de cette forêt à géométrie
variable, peuplée d’écureuils et de lapins épileptiques,
de cette centrale nucléaire située à deux
pas d’un Moulinsart grandeur nature, de ces allées
et venues de jardiniers monomaniaques à toute heure du jour,
en un mot, de cette réalité qui ne tend au « hors
sujet » derrière les apparences les plus familières… Notre
spécialiste en parcs d’attractions apprend ainsi que
l’ancienne propriétaire des lieux aurait eu des affinités électives
avec un certain Paul Rubistein dont les lubies ne sont un secret
pour personne… Du sortilège des lieux au sortilège
tout court, il n’y a qu’un pas que Jean-Pierre Ostende
franchit allégrement puisque l’Explorateur Club est
aussi une entreprise de fiction poétique à longues échéances,
destinée à être lue à voix haute comme
pour conjurer un désengagement littéraire de plus
en plus fréquent. Récits à tiroirs, escapades
imaginaires constituent la matière première de cette
oeuvre insolite, singulière et rebelle à toute concession
autobiographique. Un décalage horaire plus que jamais précieux
en ces temps de planification romanesque ! >> Par
Valère-Marie Marchand, © l'Humanité
du 05-01-08
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Un
temps mort et intangible,
Par I de Montvert-Chaussy
<< L'
'Explorateur Club est une entreprise étrange, menée
par Jean-Pierre Ostende depuis 2002, et dont la définition
n'appartient qu'à lui. Vu de l'extérieur, il semble
que ce soit une tentative d'intrusion de l'imaginaire dans le monde
réel, peut-être en vue d'une fusion, mais l'Explorateur
Club, tout esprit soit-il, a aussi des contraintes d'organisation
et de communication. Il doit se faire connaître. C'est missionné par
cet Explorateur Club que Jacques Bergman quitte femme et enfant
pour s'installer trois mois dans un château du XVIIIe, entouré de
somptueux jardins à la française. La demeure est
vide depuis le décès de la comtesse, sans autres
héritiers que les lapins et les écureuils qui s'égaillent
dans les allées. Michelle de Santerre, « Madame »,
avait souhaité que son domaine vive après elle, comme
au temps de sa vie sur terre. Une aubaine pour l'Explorateur Club,
qui envisage très sérieusement de le transformer
en site touristique. Jacques Bergman s'installe dans le pavillon
de chasse, il va observer les lieux, interroger Pechnatz, l'homme
d'entretien qui n'a jamais quitté ni Madame ni le château.
Tout commence comme une belle histoire dans un beau château.
Si ce n'est que, dès les premières pages, Jean-Pierre
Ostende glisse quelques subtils indices. Un magnétophone
surnommé Philippe, Pechnatz, qui se fait appeler Stephen
Roi, la passion de Madame pour les Américains restaurateurs
d'église et pour les terrific gardens de Chambers? Le château,
progressivement, se met à vivre ouvertement. Jacques Bergman
ne distingue plus les limites de l'ingérence du fantastique
dans le paysage a priori paisible, et le lecteur s'égare
avec bonheur dans un univers de poésie totale. Il y a des
souvenirs qui se froissent avec fracas, des soupirs qui se transforment
en orage, des arbres qui s'allument? Bergman pressent que son patrimoine
génétique n'a pas été constitué pour
faire la part des choses tangibles et intangibles. Sa vie, qu'il
confie à un certain docteur Travolta, devient inconfortable.
Tout devient vraiment très difficile pour Bergman. L'idéal
serait de se réveiller comme avant, mais est-ce encore possible
? >> © Sud Ouest, décembre 2007
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Radiographie
ludique et inquiétante par Sylvie Cohen
<< Entre anticipation sociale, angoisse, burlesque et hyperréalisme,
la fiction de J.P Ostende caracole, donne le vertige, explore avec une virtuosité éblouissante
diverses pistes, ruse avec nous dans une sorte de labyrinthe menaçant
- la référence constante au film de Stanley Kubrick, Shining,
n’est pas à étrangère à tous les « trucs » qui
conditionnent le trouble.
De quoi s’agit-il ? Jacques Bergman séjourne pour le compte de
l’Explorateur Club, dans un château du XVIIIIème siècle
afin de le transformer en parc de loisirs. Il plonge dans l’histoire
du monument, de son jardin, de la famille. Les indices commencent dès
le début, toujours au bord de la drôlerie : ainsi l’air
des trois petits cochons de Walt Disney en version française et anglaise « Qui
craint le grand méchant loup, c’est pas nous, c’est pas
nous. » Hormis Pechnatz l’homme d’entretien, les jardiniers
en personnages surréalistes comme des fantômes dangereux et sa
compagne par téléphone, Bergman n’a pas de rapport humain.
Ce n’est donc pas pour rien que l’auteur, malicieux, introduit
la fausse humanisation des objets : le portable nommé Eric, le réfrigérateur
Jérôme Bosch…sans compter les horloges qui se détraquent,
les animaux qui font irruption. «… il faudrait être fou,
givré, gratiné pour avoir peur des écureuils et des lapins… » ou « des
centaines de cadavres de mouches, peut-être un suicide collectif »,
et même les paons « … obstinés, insomniaques et paraît-il,
homosexuels » J.P Ostende a le sens du détail incongru, discordant,
de la métaphore : le texte abonde en trouvailles et en signes. C’est
un feu d’artifice, le rire nous secoue mais agit comme un électrochoc
: l’animal et l’objet deviendraient-ils les seuls compagnons de
l’individu ? Car cette « présence » (d’où le
titre du livre), est l’exigence de Michèle de Santerre, la propriétaire
du Château, qui l’a légué à l’Etat pour
se donner l’illusion d’exister encore. Ce que semble dévoiler
le livre de J.P Ostende, c’est bien la disparition de l’homme,
resterait juste sa présence. Ainsi, si nous apprenons au départ
du roman, que Bergman a d’abord été employé comme
admirateur professionnel pour aider un jeune auteur à créer un
tube « L’Asile le plus sûr est le cœur d’une mère »,
slogan ô combien symbolique et drôle, à la fin la boucle
est bouclée par l’installation du centre de loisirs « Présence
au Château » où la vie est recréée, et par
la dernière phrase « je travaille à un guide pour voyager,
sans rencontrer personne ». J. P Ostende sonne le glas de notre société et
nous livre une leçon ultime : que sont devenus les humains ? Le lecteur
reste subjugué devant l’art électrique de l’auteur
et son cauchemar éveillé. Magistral.>> Par
Sylvie Cohen, © La Marseillaise, 04-11-07
La
Présence dans le Matricule des Anges
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