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© LittératureS & CompagnieS
1999-2018

 

CELESTE de Jean PLUMYENE,
La Table ronde, ed, 1971

 

Extrait d'un texte paru en 1971 et qui constitue le "brouillon" du long témoignage de "la femme de chambre" qui accompagna Marcel Proust durant les dix dernières années de sa vie, celles les plus fécondes de la rédaction de : A la Recherche du temps perdu.

P15-17
Je l’ai connu en 13. Il s'est présenté et moi. Il m'a vue. Et puis. il a offert et mon mari que j'aille porter ses livres. Et puis après, la guerre a éclaté, son valet de chambre a été mobilise, et il m'a demande si je voulais rester un peu chez lui.
Il m'a dit - très élégant :
- Madame, je vous suis infiniment reconnaissant d'avoir bien voulu condescendre de soigner un malade. Je ne vous
demanderai rien, puisque vous ne savez rien faire. Mais je le ferai moi-même. Et puis me faire mon café, ça me suffit,. je vous en remercie
- Pourquoi ne m'appelez-vous pas
« Céleste» ? Vous me dites « Madame ».
- Je ne peux pas.
Et puis, il me dit :
- Ce n'est pas décent qu'une femme
soit près d'un homme qui reste couché. Vous ne pouvez pas être a mon service. Il n’en est pas question. Et puis vous ne savez pas parler à la troisième personne.
Et je lui dis:
- Ah! ça, je ne saurai jamais!
Mais le drôle de l'affaire, c'est que je ne savais pas ce que ça voulait dire « parler à la troisième personne », parce que dans ma campagne on se parle par son prénom, tout le monde se connaît ; donc j'avais l'air prétentieuse de dire « mais je ne saurai jamais. ». Mais je ne savais pas ce que ça voulait dire. Il a dit: « Mais je ne vous le demanderai jamais. » Il ne me l'a jamais demandé.
Mais je suis devenue que je suis restée près de lui, et puis je me suis tellement intégrée dans sa maison... Il m'a donne une immense affection, et moi la même chose. Avec une grande dignité. Chacun a sa place. Mais alors, vous savez, quand il me parlait, il ne me fleurissait pas - comment dirais-je ? - il m'a tout le temps commandée, sans arrêt, et il ne m'a jamais commandée...
« Chère Céleste, est-ce que je pourrais vous demander, est-ce que vous pourriez me procurer ça, dans une limite de temps très court, pour que je n'attende pas... » (parce que c'était un homme qu'il ne fallait jamais faire attendre).
J’étais jeune et j'ai fait ceci avec amour.


P22-25
C’était en 13... Je venais Le valet de
chambre me donnait la mission de remettre le livre, ou remettre le livre et une lettre, ou parler. Ça dépendait. Je prenais un taxi, mais à ce moment-la il y avait encore - en
1913 ! - les petits chevaux, vous savez, avec les petites roues de caoutchouc,.j'adorais ça, j'aimais mieux ça que les voitures et il y en avait beaucoup encore. Le valet de chambre me payait et puis je m'en retournais. J'ai commence chez Proust ceci.
Je ne l'ai jamais quitté. Pendant dix ans je ne me suis jamais couchée la nuit, parce que Proust travaillait la nuit.. J'attendais s'il avait besoin de moi. J'attendais s'il voulait quelque chose. Je parlais trois, quatre heures avec lui. Il était toujours couché. Son livre est toujours écrit couché. Il ne dormait pas. Tout était, vous savez, conditionnel: on ne devait jamais rentrer chez lui quand il ne vous avait pas dit: « A partir de maintenant vous pouvez venir me prévenir. »Quand il avait dit « et maintenant, alors bonsoir », c'était neuf heures, dix heures du matin, des fois onze heures, puis des fois midi. Il m'appelait. Puis des fois deux heures. Il m'appelait. Puis. et quatre heures, il m'appelait...
Parce qu'il travaillait beaucoup. Il a beaucoup travaillé et je pense maintenant, Monsieur, avec l'age et l'expérience, comment cet homme a pu, avec son livre, son cahier, écrire avec un petit porte-plume d'écolier - couche - toute son œuvre a été écrite comme ça. Tous les cahiers manuscrits, moi, je les ai achetés en blanc, sauf Du côté de chez Swann...
Il m'a entretenue tout le temps sur son livre, sur ses personnages. Quand il sortait et qu'il revenait, il me racontait tout ce qui s'était passe dans les salons, les soirées. Il me racontait et me mettait au courant de toutes ses lettres, de celles qu'il recevait, de celles. qu'il envoyait. Il m'a laissée dans sa vie sa confidente et fidèle dans tout ce qu'il faisait. Il m'avait modelée. j'étais jeune, sans vice, sans histoire, et je me suis attachée, comme un enfant s'attache à sa mère, a lui...
Tout me plaisait dans lui. Il était extraordinaire de raffinement, de délicatesse, de pudeur. Pendant dix ans, Monsieur, je ne peux pas lui reprocher une colère, un mot déplacé, un geste fait, rien. Tout est impeccable.
Quand il me disait: « Vous téléphonerez a la Nouvelle Revue Française », j'étais comme une espèce de magnétophone, j'enregistrais tout ce qu'il me disait, je vous dirai même que j'étais arrivée : il y avait des personnes qui me demandaient: « Ah, c'est vous Marcel? » quand je téléphonais. Je disais: « Non. »


P29-30
J'ai eu une vie, comment puis-je vous dire ?... Lui me disait: une vie triste. Elle était très triste,. nous vivions toute la journée sans lumière, et le jour avec de la lumière.. Les doubles. rideaux... tout restait dans la nuit (pas dans ma chambre, pas dans la cuisine).
Mon mari travaillait la nuit. Mon mari travaillait, vous savez, a promener tous les
gens du monde qui allaient dans les grandes choses, la nuit, au pré Catelan, vous. savez, dans le bois de Boulogne, et comme ça. Alors quand il promenait Monsieur Proust, il l' attendait toute la nuit a la porte, parce qu'il n'avait jamais d' heure pour sortir. Et de ce fait, mon mari travaillait la nuit, Monsieur Proust sortait la nuit ou écrivait la nuit.
Mais j’ai été - comment dirais-je ? absolument comme une pairie avec Proust: ses. conversations, ses téléphonages, tous les gens du monde... J’ai connu tout le monde. Parce que moi je téléphonais toujours,. Il ne téléphonait presque jamais.

P32-33
M. Proust m'ayant chargée d'un téléphonage pour Madame la Princesse que je n'ai
pu réussir à faire comme on m'a jamais répondu, je me permets d’écrire ce téléphonage parce que M. Proust a été tourmenté de savoir si la bouchée de souffle que Madame a prise ne lui a pas fait mal. Monsieur m'avait aussi parle d'une revue les Ecrits dont la princesse lui avait parle et qu'il aimerait bien lire. Monsieur ne sait pas comment remercier Madame la Princesse du plaisir qu'elle lui a fait en venant dîner hier soir. Monsieur s'est rendu souffrant en marchant longtemps dans. le brouillard. Mais il pense au plaisir qu'il a eu hier soir. Il voudrait bien que la Princesse n’allât plus pour le moment chez le Comte de Beaumont.

Signe: Céleste.

P46-47
Il était malade. Il a toujours été malade. L'asthme, une terrible maladie, dont il souffrait. Il menait une vie malsaine, il ne sortait pas, il restait toujours couché, il ne mangeait pas : il prenait du lait et de l'essence de café. Il ne mangeait pas, ou alors, de temps en temps quand il avait une fringale, quand il voulait une petite brioche, il fallait qu'elle vienne d'une maison qui était parfaite. Un petit gâteau...

P51-53
Il me parlait de sa mère tout le temps. Il me faisait des citations de sa mère. Oui, il aimait beaucoup sa mère. Il avait une tendresse pour sa mère, comme j'ai eu, moi j j'aimais maman, comme ça... Mais vous. ne voulez pas venir a croire qu'il y avait des choses d'inceste entre eux? Oh! Parce qu'il y a eu une saleté de bonhomme qui a dit ça! C’était absolument impossible!
Un jour je lui ai dit : « Monsieur, vous savez tout. Vous voyez plus loin que n'importe qui. Alors l'Apocalypse dit qu'un jour les trompettes de Jéricho sonneront et que nous nous retrouverons tous dans la vallée de Josaphat. Ça sera-t-il heureux de nous retrouver tous? Y croyez-vous? » Alors il m'a dit: {< Chère Céleste, je ne peux pas vous. répondre, mais si je savais y retrouver ma mère alors je voudrais mourir tout de
suite. »
Il me disait: « Il faut que je me presse. La mort me poursuit, et si je n'arrive pas à finir, tout sera par terre. » Si c’était fini, on pouvait l'éditer, ce qui est arrivé. Si c’était pas fini, ça n'avait pas la possibilité d'être fini. Il n'y avait que lui qui pouvait finir.

P77-80
IL rentrait a quatre heures, cinq heures du matin. Quand il revenait il me racontait tout.
Il disait: Celui-ci a été stupide ce soir, il a raconté ça... La dame était très. bien habillée, elle voulait faire paraître. Elle avait été intelligente, ou pas. Ou les calembours avec une autre ou l'autre. Moi, je lui disais qu'il était absolument une petite abeille, qu'il allait de fleur en fleur chercher le pollen et qu'il arrivait chez lui pour faire son miel et je disais, quand il m'avait fini de raconter tout: « Ah ! je disais, Monsieur, qu'est-ce que ce soir il va y avoir long d'analyse! »
et il souriait et il me disait: « peut-être... »
Il s'est plu avec certaines femmes du monde, ou il aimait aller passer la soirée ,. par exemple, d la fin de sa vie, il s'est rendu par exemple chez Mme Morand, elle était princesse Soutzo, elle habitait d un moment donne pendant la guerre, l' hôtel Ritz, parce qu'elle avait abandonne son hôtel particulier (qui était avec trop de domestiques et tout ça). Elle était une admiratrice de Proust. Une admiratrice.
Dans les derniers temps de sa vie il a vu beaucoup cette princesse Soutzo, qui était très intelligente, et qui lui faisait des grands dîners, des. invitations. Parce que Proust par exemple lui disait: « Oh, ce serait bien si je rencontrais Untel ou Untel. » Aussitôt la dame amenait tout le monde, et Proust se rendait d l'hôtel Ritz ou il passait des soirées. Maintenant il se plaisait quelquefois avec des ridicules mais - doucement... que ce qu'il voulait en prendre! Il a toujours fréquenté un monde qui n'était pas le monde de ses parents. Son père était un grand médecin.. C'était une vie très cossue-bourgeoise,. lui, il s'est intéresse d la mondanité des grands salons, il en a dans son livre prescrit et écrit la chute, de tout ce faste, de tout ça.. Il a trouvé le moyen d'être, tout jeune, accepté dans les grands. salons d'écrivains, les salons les plus élégants, ou il a puise toutes ces choses et il me le racontait...
Ainsi par exemple Mme Straus: Mme Straus était la veuve Bizet, qui avait épousé un Straus, et qui avait une grosse fortune, et qui avait le plus brillant salon littéraire de Paris. Alors il y allait souvent, et alors Swann c'est Haas (en partie), qui était un homme très élégant qui était toujours chez Mme Straus. Il me racontait comment il etait habille, comme il avait son chapeau, la façon qu'il était...
Quand il revenait il me racontait tout. Il me disait: « Chère Céleste, je suis tellement gentil avec vous. Parce que je suis mort d' être resté toute la nuit chez Monsieur X ou Z. Et alors il me disait: « Et quand je reviens, vous avez eu une vie si triste chez moi que je vous fais de nouveau le salon pour vous distraire... »

P103-112
Quand j'ai connu Proust j'avais vingt et un ans ...
La « bonne» de Proust? Je l’étais pas. du tout, et je l’étais, mais je n'étais pas. Parce que si j'avais été je serais pas restée mais j'ai été par affection et j'ai été – mon mari la même chose... Nous avions une espèce d'amour, de respect pour Proust. Nous. restions a notre place mais il nous donnait une place extraordinaire! Comprenez-vous?
Vous savez ce que m'a dit ,Mme ManteProust, sa nièce. Elle m'a dit: « Céleste (Parce qu'elle me voit toujours, très gentiment) elle m'a dit (elle était venue
déjeuner, elle était là) elle m'a dit : « Céleste, si vous n'aviez pas été dans la vie de mon oncle, mon oncle n'aurait pas pu écrire.»
J'ai dit : « Vous exagérez. » Elle m'a dit: « Non. » Parce que, Monsieur, je pense, j’étais comme un enfant mais dévouée, saisissant tout, enregistrant tout.
Quand il me disait, par exemple: « Céleste, vous allez me dire quel est le téléphonage que je vous ai demandé de faire. (Il y avait trois jours, mettons). Je ne me souviens pas. très bien ce que je vous ai dit de dire. » Il se souvenait très bien, il voulait que je répète pour savoir exactement ce que j'avais dit, et pendant qu'il vous écoutait il faisait ça, il remuait la tête, et vous saviez s'il était content ou non. Alors il faisait:
« Ah, bien, c'est bien ça. Merci. Je m'excuse. » Toujours « Merci je m'excuse de vous avoir demandé cela... »
Il a voulu se marier, jeune, plusieurs. fois, et il me disait: « Maman m'a déconseillé, et elle avait raison. » Parce qu'il avait aimé... (ils étaient même un petit peu parents) il dorait Mlle Pouquet qui est devenue la femme de son ami Gaston de Caillavet, qui a fait des pièces. Caillevet est mort et c'est la fille de Caillavet qui a épousé Maurois, qui vient de mourir,. tous les deux....
Moi, je lui disais: « Mais pourquoi vous n’êtes pas marié? » Alors. il m'a dit: « Mais c'est impossible que je sois marié, parce que un homme comme moi, malade, que j'aurais eu une femme, qui aurait voulu que j'aille prendre le thé, qu'il aurait fallu que j'aille avec elle pour s'habiller, qu'il aurait fallu recevoir à la maison, mais je n'aurais pas pu écrire. » Il m'a dit: « Mais, Céleste, vous, me dire que j'aurais du me marier! oh ! avec la vie que j'ai, c’était impossible que je sois. marié! »
Il aimait beaucoup sa mère. Elle a été une femme extraordinaire. Elle connaissait le grec, l'allemand, l'anglais. Elle était très cultivée. Cette femme a apporté une fortune dans le ménage, et une administration exceptionnelle de femme dans la maison. Le fils a été toujours imprégné d'admiration pour sa mère. Mme Proust composait de la musique avec Faure, qui venait d la maison. Elle était une grande musicienne. Et alors il y a eu une espèce de culture, déjà, enfant et mère - ... des. arts, de la musique... et Proust... vous savez, ça fait beaucoup, déjà, d'être élevé, enfant, avec un élément d'art, de connaissance, de peinture, de tout...
Il aimait beaucoup son père, mais son père, c’était autre chose. Il était très pris.... Et il y a eu des histoires entre eux, parce que son père voulait qu'il ait un métier, « Sois notaire, sois ce que tu voudras1 mais je ne veux pas quand même que tu ailles avec tout ça et ne pas travailler! Il faut que tu travailles! » Et alors toujours il harcelait son fils. Il voulait qu'il prenne une carrière de métier qui rapporte, et qu'il soit donc ambassadeur s'il voulait, faire de la politique s'il voulait, mais avoir quelque chose dans la vie. Alors lui ne voulait rien faire,. du reste il le dit dans son Livre...
Il m'a raconté que sa mère disait: « Tout s'arrangera, mon petit docteur! » quand elle voyait que le père, puis le grand-père (le père de la mère) disaient: « Vous n'allez pas en faire un faignant de ce petit-là, qui joue d'être malade! » Alors il riait quand il me racontait tout ça, oui, il renouvelait ses souvenirs en me les racontant...
Il avait le besoin d'écrire son Livre. C’était comme une vocation. Et il a donné sa vie pour son œuvre. Proust avait des goûts très raffines sur tout. Même tout jeune, tout jeune encore, il a fréquenté des gens qui ont cru que Proust les aimait beaucoup, mais je pense que Proust n'a pas aimé beaucoup de monde... Il aimait cette vie mondaine, mais il l’a surtout étudiée. Il l'a emmagasinée. Il l'a ramenée en lui-même...
Je pense qu'il a toujours voulu revoir ses personnages, parce qu'il y avait des éléments qu'il voulait encore être plus sûr, comment ils avaient vieilli, comment ils étaient devenus, comment... Car ses sorties n'ont été toujours que pour son Livre.
Ce sont toujours. des personnages qu'il aimait revoir, et qu'il organisait d'aller voir, une soirée, parce qu'il voulait faire revivre le personnage,. il voulait retrouver ce qui habillerait son personnage. Il ne me l'a pas dit, mais j'ai très bien compris 1
Par exemple Mme de Chevigné : il l'a beaucoup aimée, admirée, et il allait aux Champs-Élysées pour la voir passer faire sa promenade. Il me racontait: « Je me mettais au coin de la place de la Concorde et je voulais la voir passer. Elle avait un chapeau avec des. bleuets et des coquelicots. C'était joli…» Et puis il ne l'a plus vue. Et puis un soir il me dit : « Céleste, pensez-vous que je puisse demander et Mme de Chevigné d'aller chez elle et de lui demander si je pourrais revoir sa toque avec des violettes de Parme? - Oh 1 je lui dis, Monsieur 1 Vous, demander ça, et moi 1 Vous savez très bien si vous pouvez lui demander, mais pensez-vous que vous pouvez lui demander si elle a conservé tous ses chapeaux depuis tant de temps? » Puis il l'a vue quelquefois... La première fois qu'il l'a revue, il me dit : « Céleste, si vous saviez 1 Cette vieille femme que j'ai vue! Je ne pouvais pas retrouver celle que j'avais connue 1 Et puis maintenant elle parle comme cha Ah 1... »
Même quand il allait voir des scènes, comme par exemple l' homme enchaîné, vous savez, qui se faisait battre, des vices, il me le racontait en rentrant... J'étais innocente, et sans espèce, vous savez, de vices de la vie. Et alors il aimait voir la répulsion que j'avais d'une chose pareille.
Pendant la première guerre, il a été très malheureux, et il a dit qu'il regrettait qu'on ait fait cette guerre,. parce qu'il y avait des moments ou on avait voulu la guerre, ou elle était peut~être plus près d' être, et que quand même on ne l'avait pas faite, et que c’était très triste et qu'il regrettait beaucoup. Vous savez, quand on a tué... Tho..., comment il s'appelait, Barres ? - non,... qu'on l'a tué rue Royale, vous savez (il parlait dans un café), il m'a dit : « C'est un grand malheur. C’était un homme qui aurait peut- être arrivé à arrêter la guerre. » Il était dans un café rue Royale, d la Madeleine. Il était comme ça, et on l'a tué dans le dos. Comment il s'appelait? Il était Alsacien, je crois. Ah ! autrefois je savais tout...
Il pensait que la France aurait dû être toujours l’alliée de l'Allemagne pour que la France et l'Allemagne fassent un équilibre de pays, et il me disait souvent: « Vous. savez, Céleste, Guillaume un jour a écrit que ce n'est pas un coup de chapeau qu'il voulait de la France mais une poignée de ains... »
Il aimait traiter les choses avec diplomatie, il eut été un très grand diplomate, Proust.. La diplomatie toujours...

P134-135
Un jour il m'a dit: « Ah! Céleste, il est arrivé une grande chose, une énorme chose, quelque chose... devinez! » J'ai dit: « Comment voulez vous Monsieur, que je devine? » Alors, je l'avais quitté peut-être à onze heures ou à dix heures du matin, et puis il me dit ça vers quatre heures de l'après-midi, ou cinq heures. Alors, il m'appelle. J'arrive. Je le vois radieux, très content, il avait des beaux yeux... et il me sourit. Il me dit: « Il est arrive cette nuit quelque chose d'extraordinaire, devinez! » - « Je peux pas deviner, Monsieur. » Il était dans son lit, tout heureux, mais heureux! « Eh bien! Céleste? » Alors je dis: « Monsieur, dites, puisque je ne peux pas deviner. » Alors il m'a répondu : « Cette nuit j'ai mis le mot FIN. »

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